Jean-François Harvey, kinésiologue, ostéopathe, professeur en ostéopathie, formateur pour les professionnels de la santé, conférencier et auteur, en plus d’être un sportif chevronné.
Il a écrit en en 2013 un premier tome sur la course à pied, qui devait devenir la bible Bleue de bien des coureurs au Québec. Il nous révélaient le secrets des coureurs africains et des trucs tout simple pour comprendre comment s'améliorer et améliorer sa performance en course à pied. Avec son deuxième tome, il nous donne encore plus d'informations, et de trucs pour s'améliorer.
CDC :Le premier livre, Courir Mieux qui date de 2013 et qui a été publié à 50 000 exemplaires au Québec, et a été adopté par plusieurs coureurs devenant la bible de référence pour bien courir. Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire un nouveau livre, une suite peut-être du premier?
JFH : Les gens considèrent le premier livre très complet leur bible, tout était là. Mais en même temps, lorsque je donnais des conférences les gens me posaient des questions sur la course pour les enfants, la course en vieillissant, le course lorsqu’on est enceinte, la course lorsqu’il fait chaud, les compétitions ou l’aspect mental. Je me rendais compte que tout cela, je n’en parlais pas dans le premier tome.
Ce qui fait en sorte qu’il restait de la matière. Au final je n’aurais pas écrit un livre pour quelques petits trucs, alors j’ai attendu d’avoir assez de contenu pour vraiment me lancer. De plus, depuis 2013, il y a des choses qui se sont développées rapidement, des choses vraiment intéressantes, dont par exemple les watts. En 2013 ça n’existait pas.
Il y a eu aussi beaucoup de recherche sur l’aspect mental, toutes les neurosciences ont connu beaucoup de développement au cours des dernières années
C’est à ce moment-là que j’ai compris que j’avais de la matière pour un deuxième livre.
CDC :Personnellement je lis vos livres sans forcément les lire dans l’ordre, je préfère choisir un chapitre et l’approfondir.
JFH : En effet, c’est variable, certains vont lire le livre d'un couvert à l'autre en 2 ou 3 jours, alors que d'autres un chapitre à la fois. À chacun sa façon de lire, ce sont des livres pratiques.
CDC : Dans le résumé du livre vous abordez la notion de gains marginaux, qu’est-ce que vous entendez par ceci?
JFH : Ce sont de petits gains qu'on va chercher et qui s’additionnent et donnent des gros gains.
L’exemple qui illustre le mieux le principe dans le milieu du sport c’est la fameuse équipe Sky qui ont eu de multiples vainqueurs du Tour de France. Ils ont utilisé fortement cette approche il y a de cela une dizaine d’années.
J’adore cette approche parce qu’elle préconise de regarder partout où l’on peut trouver des améliorations même si le gain semble minuscule. Cette approche est préférable à celle que beaucoup de gens recherchent, ils cherchent LE truc qui leur permettra de s’améliorer. On peut penser à ces personnes qui se mettent à faire des intervalles à très haute intensité, en se disant que c’est ça qui va faire la différence. Ou bien cette autre personne qui se met à augmenter son kilométrage qui fait du 100 à 200 kilomètres par semaine. Ou encore cette personne qui croit que ce sont les espadrilles qui vont faire la différence.
Souvent les gens cherchent une chose et misent beaucoup là-dessus.
Pour ma part je trouve que c’est une approche plus intelligente (les gains marginaux) car il y a de multiples endroits où on peut faire mieux, et ça ce n’est pas seulement dans la course, c’est vrai dans la vie en général.
Par exemple on réalise qu’on peut faire un truc et qu’on va mieux dormir, et on s’améliore d’un pourcentage. Ou bien on développe une stratégie d’aspiration avec un ami et on gagne un autre point de pourcentage de plus. Il y a des individus qui ne font pas de renforcement l'hiver et découvrent qu’en en faisant ils vont chercher trois à cinq points de pourcentage de plus.
L'idée est donc d’aller chercher des gains un peu partout, mais il faut quand même savoir qu’il y a des éléments qui permettent d’aller chercher des gains plus que marginaux.
Comme par exemple le renforcement. Il s’agit d’un point important et il existe malheureusement encore trop de coureurs qui ne font pas de renforcements. Et pourtant on sait que les gains potentiels sont estimés à cinq points de pourcentage. Ce qui est énorme, on n’est plus dans les gains marginaux ici.
Mais on sait que c’est difficile, c’est compliqué, ça prend du temps. Ainsi il y a beaucoup de coureurs qui ne font que ça courir, ils ne font pas d’autres exercices. L’idée est de profiter de la course à pied en ajoutant d’autres choses qui aident finalement.
Le contenu de cet article provient d'une entrevue réalisée le 3 août 2020.
CDC : Il y a des évolutions dans la science qui se sont passées entre les deux tomes, par exemple vous avez mentionnés les watts tout à l’heure. En quoi est-ce utile dans le domaine de la course?
JFH : Tout d’abord les watts sont utilisés par les cyclistes depuis longtemps parce qu’ils ont des capteurs dans leurs pédales, un outil relativement simple. Pour la course à pied ce n’est pas le même principe.
Avec les nouvelles technologies, certaines compagnies ont développé des façons d’estimer nos watts.
Les watts, c’est la puissance qu’on développe en course. Ce que ça permet de faire, c’est de nous donner une meilleure idée de notre effort. L’effort varie beaucoup selon l’environnement dans lequel on pratique notre course.
Par exemple, en sentier, c’est très difficile de se fier sur l’allure de course. Si dans notre programme il est prévu de courir à 6 minutes du kilomètre, et qu’on va en sentier, la vitesse fout le camp.
Ainsi, s’il y a du dénivelé, s’il vente, s’il pleut, tout ceci peut affecter la performance. Alors avec les watts on a une bien meilleure idée de l’effort déployé peu importe les conditions.
Ayant constaté cela, j’ai réalisé que peu de gens en parle, c’est nouveau, et j’ai décidé de concevoir des programmes avec des watts, à ma connaissance il n’y a aucun livre qui propose des entraînements avec les watts pour l’instant.
Pour le moment la meilleure technologie qui existe est celle proposée par Stride. Il est vrai qu’il s’agit d’un nouveau gadget qui coûte autour de $300 mais ça fonctionne bien. C’est un petit truc qu’on installe sur nos lacets et ce n’est rien de très compliqué.
Mon intention n’est pas de convertir tout le monde aux watts, mais de leur dire qu’il existe différentes possibilités.
CDC : On a souvent l’impression que tout ce qui se fait en littérature s’adresse aussi bien aux hommes qu’aux femmes, Pourtant vous avez consacré un chapitre sur la femme et les différences entre les deux sexes. Pourriez-vous nous dire comment votre livre aiderait les femmes qui s’intéressent à la course à pied?
JFH : Ça m’intéressait beaucoup de creuser le sujet, car je trouve déplorable la science qui est faite par des hommes sur les hommes. La majorité des études sont faites sur des hommes, même les études sur les effets du jus de betteraves, la plupart du temps c’est fait sur des hommes. Bien qu’il y ait différentes raisons pour ceci, il en demeure qu’on extrapole les résultats des hommes aux femmes.
C’est la première raison qui m’motivé à faire des recherches pour trouver ce qui pouvait s'appliquer spécifiquement aux femmes. Mais c’est certain que la science a des limites sur le sujet.
La deuxième chose c’est que l'anatomie et la biomécanique de la femme est différente de l'homme. Je trouvais qu’il y avait des choses intéressantes à creuser dans ce sujet. Par exemple même la technique de course est différente.
Les blessures sont différentes, par exemple la femme a deux fois plus de blessures aux genoux que l’homme. Ceci est sans doute reliée à l'anatomie féminine. L’angle du bassin est différent et plus marqué vers l’intérieur.
On doit aussi tenir compte du cycle menstruel qui change la donne. C’est un point majeur tout comme la grossesse, l'accouchement dont je discute dans mon livre. D’ailleurs il ya plusieurs endroits dans le livre ou je parle de trucs plus spécifiques pour la femme.
Dans le chapitre sur la compétition j’explique qu’il est bon de gérer sa course comme une femme. Ça été démontré dans une étude que les femmes gèrent mieux leurs courses, surtout les longues courses. Elles ralentissent moins dans leur deuxième moitié, elles sont plus conservatrices dans leur approche.
Elles ont une meilleure approche, donc les hommes ont beaucoup à apprendre des femmes.
Le contenu de cet article provient d'une entrevue réalisée le 3 août 2020.
CDC : La technologie nous permet d’être de plus en plus précis et nous donne de plus en plus de métriques pour suivre nos performances. Je serai curieux de vous entendre sur l’utilité et l’importance que vous accordez à ces apps?
JFH : C’est comme tout, dans la technologie il y a des bons produits, des bons côtés et de moins bons. C’est clair que ça peut vraiment augmenter la motivation de plusieurs personnes.
Il y a toutes sortes d’app, telles que Runkeeper par exemple. C’est bien fait, ça nous permet de voir les dénivelés ça aide à la motivation et à objectiver nos résultats.
C’est le point positif.
Par contre comme on a vu avec ce qui s’est passé la semaine dernière avec Garmin, y a des gens qui étaient complètement perdus car ils n’avaient plus leurs résultats sur l’application. C’est là que je trouve que ça dérape, quand on n’est plus capable de s’entraîner sans les technologies.
C’est pour ça que j’ai mis un point dans le livre sur « courir au senti ». J’ai mis un tableau sur comment marier technologie et senti. Parce que je trouve que les deux peuvent se marier.
Par exemple on peut faire des petits jeux on peut courir sans regarder sa montre et essayer de deviner son allure. La technologies nous donnes des feedbacks qui nous permettent d’améliorer notre senti.
Il y a des gens qui ne jurent que par la technologie, mais ce qu’il faut comprendre c’est qu’on est doté de capteurs et récepteurs incroyables dans notre corps. Et il n’existe encore aucune technologie qui accote ça.
On a une zone de perception à l’effort, des thermorégulateurs, des récepteurs de douleur, des récepteurs de température, on a déjà une technologie incroyable dans notre corps. Donc de glorifier les montres et de ne se fier que là-dessus je trouve que c’est nous limiter, mais s’en servir pour valider notre senti ça va.
CDC : Je vous ai entendu en entrevue mentionner que plusieurs de vos lecteurs vous avaient demandé de faire un livre qui s’intitulerait : Courir vieux. Vous les avez pris au mot en consacrant un chapitre sur le vieillissement, pourriez-vous nous résumer en quoi votre nouveau livre aide les coureurs qui ont atteint un certain âge?
JFH : La rubrique sur le vieillissement qui est dans le chapitre s'adapter c’est la plus longue rubrique de tout le livre. Et c’est aussi celle qui a demandé le plus de travail mais une des rubriques que j’ai préféré faire.
Bon, tout d’abord tout le monde vieillit. Moi je suis fin quarantaine, mon père courre encore il en est à soixante-quinze ans, mes patients vieillissent, la communauté des coureurs en général vieillit. Je me questionne beaucoup sur comment on peut vieillir et bien performer.
J’ai fait beaucoup de recherche, sur le sujet, c’est énormément de travail, c’est 13 pages çà! Et je dirais qu’une des choses qui ressort c’est que la course à pied permet de retarder les effets du vieillissement de façon importante. C’est vraiment une bonne nouvelle!
Je parle des télomères qui sont les marqueurs du vieillissement, ce qui est intéressant c’est que les chercheurs ont établis un seuil au-dessus duquel, on a vraiment des effets sur le vieillissement. Je vous laisse découvrir le punch dans mon livre ;)
L’autre chose qu’on a découvert, c’est qu’il est possible de quantifier le pourcentage de performance qu'on perd et à quel âge. C’est pour cette raison que j’ai mis les courbes de vieillissement pour les hommes et le femmes et ce qui est intéressant ce que ça nous permet de quantifier ou on en est vs le 100 % de notre pleine forme
Par exemple, moi je suis à 94 % comparativement à la période où j’ai atteint mon sommet. En fait, ce que ça me dit, c’est que si j’arrivais à faire une performance qui est supérieure à 94 % de ma meilleure performance (à mon 100%) je ferais en gros la meilleure performance de ma vie.
Il s’agit d’une épreuve beaucoup plus réaliste, car malheureusement je vois encore beaucoup de gens ayant dépassé la cinquantaine qui veulent faire leur meilleure performance cette année. Et lorsqu’on les interroge ils vont nous dire qu’ils ont fait 2 :46 h à 32 ans et espèrent battre leur record à 52 ans.
Il y a là un manque de réalisme.
Je dirais même une forme de déni. Ils veulent performer à tout prix, comme pour défier le temps.
Malheureusement je trouve qu’on vit très mal comme société avec le vieillissement.
Donc la clé c’est de bouger.
L’autre chose qu’on se rend compte, c’est que tout ce qu'on est supposé faire et dont on parle dans le livre ça devient encore plus important.
Faire ses renforcements, bien dormir, bien manger, bien récupérer, toutes ces choses qu’on ne trouvent pas importantes quand on est dans la vingtaine, prennent toute leur importance en vieillissant.
Le contenu de cet article provient d'une entrevue réalisée le 3 août 2020.
CDC: Je vois régulièrement des coureurs qui ont augmenté leur entraînement ces temps-ci, le confinement semble nous pousser à augmenter nos entraînements. Certains de vos programmes conseillent un entraînement de 4 sorties par semaine incluant des journées d’entraînement croisés pour deux jours. Que pensez-vous des coureurs qui s’investissent intensément dans la course à pied? Qui courre 6 ou 7 jours par semaine en continue?
JFH : Il y a différentes philosophies là-dessus et il y a des gens qui pour performer doivent courir pratiquement tous les jours. Et puis de l’autre côté il y a des gens comme moi qui d’après la science, et ce que je vois sur le terrain croient qu’ajouter un entraînement croisé c’est vraiment une bonne idée.
Il y a des études qui ont démontrées que si on ajoute des séances d'entraînement croisé on augmente la performance autant que d’ajouter des entraînements de course.
Je crois que c’est une bonne idée lorsqu’on regarde une vision à long terme.
Bien sûr les athlètes de haut niveau s’entraînent 2 fois par jour. Mais pour la majorité des gens il ne faut pas se cacher que la course à pied cause un stress mécanique. En faisant un autre type d’entraînement on réduit l’impact de ce stress spécifique qui est remplacé par un autre type de stress et donc crée moins d’impact.
En définitive, le coureur qui ne fait que de la course à pied et qui se blesse n'a plus d'alternative. Ça lui donne un sacré coup au moral car il n’a pas d'option pour se réguler, ni physiquement ni mentalement.
J’ai plusieurs clients qui sont des triathlètes. Lorsqu’ils ont un problème au tendon d’Achille, ils ne s’en font pas, ils font un autre exercice et c’est guéri au bout de quelques jours. Alors que le coureur, il continue et il ne fait qu’aggraver sa blessure.
Je constate que les coureurs jugent beaucoup les triathlètes, ils les trouvent surentrainés, estiment qu’ils n’ont plus de vie. Et c’est peut-être vrai pour quelques-uns mais pour la majorité ils sont normaux et ils ont une plus grande flexibilité.
Finalement c’est ce qui m’a poussé à mettre sur pied un programme d’entraînements croisés. Dans la littérature il n’existe pas de programme de la sorte.
CDC : Quelle est votre opinion sur la course en sentier?
JFH : C’est mon terrain de jeu la course en sentier. J’ai une rubrique sur le sujet dans le livre.
Je pense que la course en sentier a beaucoup plus d'effets que la course sur l'asphalte en ville. Je comprends la réalité des citadins, des urbains, ce n’est pas toujours évident de courir en sentier. Ceci dit j’ai habité à Montréal pendant plusieurs années et je me dirigeais régulièrement vers le Mont Royal ou dans les parcs. Il y a moyen de se débrouiller comme ça.
Ceci dit j’habite en campagne depuis quelques années, et là je m'éclate dans les sentiers, j’ai accès aux pistes à cinq cent mètres de chez moi. Je trouve que les bénéfices à courir en sentier sont nombreux, il y l’effet sur l’entraînement mais il y a aussi l’effet d’être dans la nature. Il existe multiples études qui expliquent les bénéfices de se promener en forêt.
Il y a aussi la notion de plaisir à courir dans la nature et c’est un point central dans toute activité pour moi.
On constate que les gens qui découvrent la course en sentier ne veulent plus retourner sur l’asphalte.
C’est tellement agréable, le temps passe plus vite, on est concentré sur le moment présent parce qu'on doit regarder ou on met les pieds.
Il est certain qu’il faut être prudent car le danger principal est de subir une entorse de cheville. Mais si on est dans le moment présent, qu’on anticipe bien, normalement on s’en sort très bien.
Et pour moi c’est un retour vers la nature, vers ce qu'on faisait à une autre époque.
Même si on n’habite pas la campagne la course en sentier est possible, par exemple ceux qui habitent en ville, peuvent courir au parc Lafontaine, faire des slalums entre les arbres.
L’autre aspect avec les courses de sentiers, ce n'est plus la même mentalité, on est moins axé sur le chrono. Car quand quelqu’un termine un 10 km en course à pied, on lui demande tout de suite, t'as fait combien? On juge sa performance. Dans les sentier, t'as fait 20 kilomètres, c'est tout.
Par contre, ça peut déraper, car la distance devient la référence. Le danger c’est de vouloir faire des ultras sans être prêts. Beaucoup de gens se blessent, parce qu’ils veulent en faire trop, trop vite. Ils n’ont souvent même pas fait un marathon, mais ils veulent faire un 80 km en sentier.
Moi je suis un passionné des sentiers, pour moi descendre un côte avec de beaux virages, techniques, c’est un des plaisirs de la vie.
Le contenu de cet article provient d'une entrevue réalisée le 3 août 2020.
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